« Les Buissonnets »
ou la fécondité des échecs
« Un
peuple sans histoire, a dit Aimé
Césaire, c’est un peuple sans avenir ». Ce grand auteur africain a voulu
utiliser ce style proverbial pour souligner l’importance de la mémoire car, comme on le sait, la
vitalité de la mémoire est la condition de tout progrès. Dès lors, faire mémoire, c’est un devoir à ne pas
négliger sous aucun prétexte.
Dans les lignes qui suivent, nous nous donnons
comme tâche de retracer, tant soit peu, l’historique de la fondation de la
Mission « Les Buissonnets ». Disons-le tout de suite que derrière
cette appellation « Les Buissonnets » de cette mission carmélitaine
de Lubumbashi, il y a un nom : le Père Marcellino Forcellini, cet
infatigable missionnaire carme déchaux, qui a osé grand pour que cette mission
voit le jour, se développe et ait son rayonnement actuel. S’il a quitté la
terre des hommes pour entrer dans la
Vie, il n’a pourtant pas quitté « Les Buissonnets ». il y est
intimement lié.
Pour
arriver à retracer l’historique de cette mission, il fallait se transformer en un
véritable rat de bibliothèque pour fouiller et fouiner dans la pile de la paperasse et autres écrits
laissés par lui. Dieu merci, nous sommes tombés sur le «journal
fondation » qui remonte au 19/09/1996. Document trouvé, la matière
était là, mais il fallait encore savoir déchiffrer la fine écriture de son
auteur pour puiser, mieux, copier et coller certains passages pour le besoin de
la cause.
Pour
la petite histoire de la fondation de la Mission « les Buissonnets »,
il y a lieu de rappeler qu’avant d’avoir « les Buissonnets » dans sa
structure actuelle, il y a eu des tentatives de fondations qui avaient échoué
pour une raison ou pour une autre. La première tentative de la fondation à
Lubumbashi remonte de 1958. Ce sont les carmes déchaux de la Province des
Flandres (Belgique) qui avaient conçu le projet d’une implantation au Congo. Le
choix était tombé, de prime à bord, sur Lubumbashi (ex Elisabethville). Pour
cette fondation, ils n’avaient pas l’intention
de s’engager dans une œuvre missionnaire ou dans la pastorale
paroissiale directe. Leur intention première était de fonder un carmel
masculin, un couvent de vie carmélitaine ordinaire, avec des activités propres (direction
spirituelle, confessions, publication, etc.) comme dans les autres couvents des
carmes déchaux en Belgique. Mais hélas, les pourparlers en vue de cette
fondation n’aboutiront à rien, surtout de la part de l’autorité ecclésiastique,
qui était, à cette époque, fermée à d’autres nouvelles implantations. C’est d’ailleurs
pour cette raison que nos confères flamands vont se replier sur Kananga (ex
Luluabourg) où ils auront plus de succès et vont ouvrir le couvent de Kananga
dédié à « Notre Père » en cette même année 1958.
La
deuxième tentative, quant à elle,
remonte aux années 1987-1988. Cette fois-ci c’est sous la houlette du Père Marcellino Forcellini. Venu tout droit de Kinshasa, il
atterrit à Lubumbashi avec la casquette du « délégué du Père général des
carmes déchaux au Zaïre ». Son cœur était aiguillonné par l’urgence de
trouver un emplacement pour le philosophat de la Délégation des carmes déchaux du
Zaïre. Soulignons que ce projet était prévu à Bukavu mais il connaissait encore
de grosses difficultés, et cela avait
fait croire qu’il était pratiquement impossible de se réaliser là-bas. On comprend
maintenant l’objet de la présence du Père Marcellino à Lubumbashi : l’implantation
du philosophat propre aux frères carmes déchaux zaïrois. Il faut dire qu’au début, il y avait de l’espoir.
Le Père Marcellino a reçu l’appui et le soutien des carmélites déchaussées qui étaient
même disposées à céder leur monastère et
tout leur terrain de 2 hectares en
ville, contre un petit couvent en dehors de la ville, pourvu que ce projet se
réalise. Il a manqué de peu pour que le rêve devienne réalité. Mais à la fin, ce projet a échoué, comme la
tentative de fondation antérieure. Les mêmes causes ont produit les mêmes
effets : l’Ordinaire du lieu n’était pas enthousiaste à ce projet. Obtenir
son accord pour une fondation n’était pas si évident et relevait d’un miracle. C’est
en ce moment que surgit l’inattendu : à Bukavu, le problème venait d’être
résolu. L’obstacle était contourné : un accord était signé entre les
carmes déchaux et les missionnaires d’Afrique en vue d’une collaboration et que
les carmes déchaux pouvaient envoyer leurs étudiants en philosophie dans leur
philosophat. Même s’il y a une solution trouvée, les cames déchaux ne lâchent
pas des yeux Lubumbashi, cette deuxième ville du pays.
Dans
les réunions du conseil de la délégation
des carmes déchaux du Zaïre, des années 1993-1994, suite à une correspondance
des carmélites de Saint Joseph, on recommençait à reparler d’une éventuelle
fondation à implanter à Lubumbashi. L’argument des carmélites de Saint Joseph
était qu’à Lubumbashi, il y avait des opportunités pour une vie carmélitaine et
déjà, à cette époque, à Lubumbashi, il y avait un groupe des carmes laïcs
encadrés par elles, et qui réclamait des visites fréquentes et régulières des
carmes déchaux. Plusieurs descentes sur terrain d’une équipe composée du Père
Jean Jésus, le délégué général des
carmes déchaux du Zaïre et du Père Marcellino pour voir ces opportunités, pour décider
et concrétiser ce projet. Dans leur recherche, un terrain de 10 hectares a été trouvé à environ 5 kilomètres de la
ville. C’était une ancienne ferme tombée en faillite, avec des maisons dans un
état de délabrement très avancé. Après discussions et discernement, l’équipe des éclaireurs a pensé que
c’est le lieu qui répondrait le mieux pour accueillir les œuvres propres des carmes
déchaux. Toutes les formalités de l’achat jusqu’au niveau du cadastre étaient supervisées
et conclues par le Père Marcelllino sous
l’autorité du P. Jean Jésus, le Délégué
Général.
En
1995, le P. Luis Hernandez sera nommé,
par le conseil de la Délégation, pour poursuivre la fondation de Lubumbashi. Il
sera sur terrain une année plus tard, en 1996. C’est lui qui prendra contact
avec une compagnie de construction. La réhabilitation
de la maison et construction du mur de clôture seront les premières des choses
à faire. Toujours en cette année, le Père Luis sera nommé Délégué Général. C’est de nouveau le P. Marcellino qui sera
chargé, par le conseil de la Délégation
et par nos supérieurs majeurs de Rome, de poursuivre l’œuvre de la
fondation de Lubumbashi. Il est nommé prieur de la communauté qu’il fera avec
le frère Jean Bosco Mvunzi. Plusieurs autres confrères y seront nommés à tour
de rôle : Edmond, Jean Jules, Odon, Santos, Godefroid, Baudouin, etc.
A
peine arrivé, une question taraude l’esprit du Père Marcellino : sous le
patronage de quel saint confier cette nouvelle fondation ? La réponse n’a
pas tardé à venir. Mieux que nous, le Père Marcellino étale sa pensée et son
inspiration : « Dans la
perspective du 1er centenaire de la mort de la Petite Thérèse
(01/10/96), on voulait offrir à la
Patronne des missions catholique un cadeau. Il m’est venu à l’esprit de
l’appeler « Les Buissonnets », la maison paternelle de la Sainte de
Lisieux, d’ailleurs, ici, nous sommes réellement dans les buissons »
Signalons
déjà à ce niveau que la maison
« Les Buissonnets » sera érigée canoniquement le 9 septembre
1996.
1er
Octobre 1996, en la fête liturgique de la Petite Thérèse de Lisieux, le Père
Marcellino, sans attendre le décret d’érection canonique, programme
d’ouvrir cette maison par une première
célébration eucharistique. Il va inviter les sœurs carmélites de Saint Joseph
et tous les frères et sœurs de la fraternité du carmel séculier. C’était la
première eucharistie aux Buissonnets. C’était dans la simplicité, dans l’intimité
et la fraternité que « Les Buissonnets », timidement, ouvraient ses
portes. Par la force des choses, il a adapté une pièce de la maison d’habitation
pour en faire l’oratoire.
Et jour
après jour, les travaux de réhabilitations, de construction et
d’ameublement ont continué leur bonhomme
de chemin. Dans l’entre-temps, les tractations continuent avec les autorités ecclésiastiques pour asseoir la fondation et les autres
projets comme la construction de la chapelle, de la maison d’accueil ; la construction
du poulailler et de la porcherie, l’implantation d’un jardin potager, le forage
d’un puits d’eau.
Le 28
janvier 1999, le Père Marcellino, prieur des carmes déchaux de Lubumbashi et
chargé des projets, finira par écrire A son Excellence Mgr Floribert Songa
Songa, archevêque de Lubumbashi une lettre dans laquelle il demande son
consentement pour l’érection d’une maison religieuse. Deux mois après, en la
fête de Notre Père Saint Joseph, le 19 Mars 1999, il reçoit des mains de
l’ordinaire du lieu, qui est venu personnellement visiter la communauté des
carmes déchaux, le rescrit d’érection
d’une maison religieuse. Avec ce rescrit, les carmes déchaux ont le
consentement de l’archevêque pour avoir une maison religieuse à Lubumbashi. La
présence des carmes déchaux dans cet archidiocèse c’est pour qu’ils « rayonnent surtout dans le
sens de leur charisme thérésien : prière et animation spirituelle, tout en
demeurant à l’écoute de l’Ordinaire du lieu, et en s’insérant dans la pastorale
d’ensemble », précise le rescrit d’érection.
Le 2
avril 2000, un autre événement vient s’ajouter dans les annales des
Buissonnets : la bénédiction, par
l’archevêque de Lubumbashi, de la chapelle de la communauté.
En
2001, une nouvelle réalité voit le jour : le transfert du noviciat qui,
jusqu’à présent, avait son siège à Kananga, vers Lubumbashi. Le Père Marcellino
sera maintenu Prieur de la communauté et le Père Roger Ngungampimpa comme
Maître des novices.
En
2003, le Père Marcellino sera nommé à Kananga. Deux ans après, en 2005, il se
verra nommé de nouveau à Lubumbashi
comme prieur, charge qu’il exercera jusqu’au dimanche des Missions Universelle,
23 octobre 2016, jour de son entrée dans la Vie.
A son actif, mentionnons
quelques œuvres :
-
Les complexes scolaires
« Les Buissonnets 1 et 2»
-
La maison d’accueil
« Les Buissonnets »
-
Le Centre de Santé Notre
Dame du Mont Carmel
-
Le forage d’un puits
d’eau pour la population environnante
Comme
on le voit, le rayonnement actuel des carmes déchaux dans l’archidiocèse de
Lubumbashi et des leurs œuvres propres peuvent être considérés comme une fécondité de l’échec. D’abord
plusieurs tentatives vouées à l’échec, puis une implantation timide et
finalement un rayonnement. Le secret de tout cela, nous le trouvons chez la
patronne de cette mission « Les Buissonnets », Thérèse de
Lisieux : « Ne jamais
désespérer des échecs» parce que « le
Seigneur ne peut inspirer des désirs irréalisables ». Ces deux
convictions ont guidé le Père Marcellino jusqu’au bout. A la génération
actuelle et future des carmes déchaux congolais et à tout homme d’en tirer une leçon….
Que les Carmes Déchaux aillent toujours de l'avant. Pères Marcellin et Louis, reposez en paix dans la maison de l’éternel que vous avez tant servi ici bas.
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